Une mobilisation nationale et interprofessionnelle est prévue ce jeudi 5 décembre en France contre la réforme des retraites du gouvernement, à l’appel de nombreux syndicats. « Une défense des régimes spéciaux » selon Emmanuel Macron. L’exécutif veut à tout prix éviter la convergence des luttes tant redoutée.
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la réforme des retraites initialement attendue pour juin 2018 a été plusieurs fois repoussée par le gouvernement d’Édouard Philippe. Un projet de loi devrait être voté à l’été 2020, inspiré par les préconisations du rapport qu’a dévoilé en juillet dernier Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire de la réforme. L’idée générale est de prévoir un « système universel » par points pour remplacer les 42 régimes spéciaux existants et dans lequel « chaque euro cotisé donnera les mêmes droits à tous ».
Les propositions du haut-commissaire sont largement détaillées sur le site officiel de la réforme, et restent selon ses propres mots « soumises à débat ». En l’état actuel, personne ne connaît exactement le contenu définitif de la réforme. À commencer par sa date d’application qui continue de faire l’objet de nombreuses discussions et prises de position. Et en filigrane des débats, la fameuse « clause du grand-père », un dispositif avec lequel la réforme des retraites s’appliquerait exclusivement aux nouveaux entrants sur le marché du travail à la date de sa mise en place. Ce qui concernerait les jeunes nés à partir du début des années 2000. Le débat fait rage entre ceux qui demandent son application, comme la CFDT-Cheminots, et ceux, parmi les syndicats ou au sein du gouvernement, qui jugent difficile son application.
Emmanuel Macron tente de déminer l’ampleur de la mobilisation
« Vous constaterez avec moi que le 5 décembre est quelque chose d’étrange (…), il va y avoir une mobilisation massive contre une réforme dont on ne connaît pas les termes exacts », déclarait le chef de l’État lors d’un déplacement fin novembre dans la Somme. En prononçant ces mots, Emmanuel Macron disait juste. Mais en ajoutant que « cette mobilisation est avant tout la mobilisation de salariés d’entreprises qui relèvent des régimes spéciaux », le locataire de l’Élysée n’était plus du tout dans le vrai.
Si à l’origine l’appel à une grève « illimitée » commençant le 5 décembre a été le fait des syndicats de la RATP (Unsa, CGT et CFE-CGC) et de ceux de la SNCF (CGT-Cheminots, Unsa ferroviaire, SUD-Rail, FO-Cheminots), d’autres organisations qui ne sont pas directement concernées par les régimes spéciaux se sont ajoutées à la liste. À Air France, onze organisations demandent aux salariés d’aller « défendre (leur) régime de retraite » et « d’exprimer (leur) refus de travailler plus pour gagner moins », alors que « le gouvernement veut imposer une dégradation majeure (du) système de calcul des retraites ». Fait rare, les cadres de la CFE-CGC ont également appelé à manifester, et la CFTC a laissé ses syndicats libres de rallier le mouvement. Même la CFDT, qui soutient globalement la réforme, a laissé sa fédération cheminote déposer un préavis, notamment avec l’espoir d’obtenir l’application de la « clause du grand-père ».
Avocats et magistrats vont aussi grossir les rangs des grévistes. L’Assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) qui représente les 70 000 avocats de France a voté une journée « Justice morte », le 5 décembre, pour protester contre le projet de réforme. Le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, a également appelé « l’ensemble des professionnels de justice » à la grève ce jour-là.
La police en grève sans rejoindre les cortèges
Plusieurs syndicats d’EDF se sont joints au mouvement (CGT, Force ouvrière et Sud). La CGT appelle à la grève ainsi qu’à des « baisses de production d’électricité, des coupures en énergie des bâtiments publics d’État (hors lieux de santé) » ainsi que dans des entreprises de la branche, et inversement à rétablir le courant chez les particuliers où il aurait été « injustement coupé », selon un communiqué.
Les syndicats policiers Alliance et Unsa ont lancé un appel pour des « actions reconductibles » à partir de jeudi dans tous les services de police: fermeture symbolique des commissariats, refus de rédiger des PV, contrôles renforcés aux aéroports et aux péages… Mais pas question pour autant de rejoindre les cortèges de manifestants, a rappelé le secrétaire général d’Alliance Fabien Vanhemelryck, expliquant qu’il s’agissait pour les policiers de « manifester autrement ».
Les enseignants seront aussi dans la rue plutôt que dans les salles de classe. Les syndicats de l’Éducation nationale SNES-FSU, SUD-Education et Unsa-Education appellent à la grève, tout comme les personnels hospitaliers. En dépit du récent « plan d’urgence » pour l’hôpital présenté par le gouvernement, l’ensemble des syndicats de la fonction publique hospitalière, dont la CGT, FO et la CFDT, ont estimé dans un communiqué commun que le gouvernement « ne répond pas à la gravité de la situation ». La fonction publique n’est pas en reste, avec la fédération FSU et la fédération CGT des services publics qui appellent tous les syndicats représentants des agents de la fonction publique à faire grève. Des syndicats de pompiers ont également répondu présents à la mobilisation, ainsi qu’à La Poste. Enfin, le syndicat étudiant Unef – rejoint depuis par les organisations FIDL, MNL et UNL – a appelé à manifester le 5 décembre, notamment pour exiger une réévaluation des bourses universitaires.
La convergence des luttes dans toutes les têtes
On le voit, la mobilisation annoncée dépasse largement le cadre des bénéficiaires des 42 régimes spéciaux. Même les « gilets jaunes » seront de sortie, depuis l’adoption d’une résolution dans ce sens lors de « l’Assemblée des assemblées » tenue début novembre à Montpellier. Sans doute conscient de l’épreuve de force à laquelle il se prépare le 5 décembre, le gouvernement a fait le choix d’accélérer son calendrier. Dans un premier temps en recevant à Matignon syndicats et patronat puis en organisant un séminaire gouvernemental le dimanche 1er décembre. De son côté, Jean-Paul Delevoye, continue de recevoir syndicats et patronat, avant de rendre ses conclusions à Édouard Philippe lundi 9 ou mardi 10 décembre. En première ligne, le chef du gouvernement doit dévoiler le projet à la mi-décembre.
Philippe Martinez l’a martelé, il est résolu à un bras de fer : « On n’avait jamais eu autant de demandes » de salariés « qui veulent savoir comment » participer à la mobilisation du 5 décembre, a-t-il assuré, évoquant des appels à la grève dans « les raffineries, la pétrochimie, le caoutchouc, l’automobile ». « Tout le monde est concerné […] c’est une réforme qui concerne le public comme le privé », a-t-il insisté, dénonçant « la grosse provocation » de l’exécutif qui cible les seuls régimes spéciaux.
Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a annoncé ce mercredi que 245 rassemblements et manifestations avaient été déclarés dans toute la France pour la journée du 5 décembre. Seule l’ampleur de la mobilisation pourra jouer le rôle du juge de paix entre gouvernement et grévistes. Mais la convergence des luttes, vieille antienne des combats syndicaux, est bien dans toutes les têtes, celle du leader de la CGT comme celle du chef de l’État.