Le 17 mai 2020 au soir, la communauté musulmane de Côte d’Ivoire et le monde apprenaient avec surprise une nouvelle choquante. Le rappel vers Allah, son créateur, de Cheikh Aïma Boikary Fofana, le guide suprême des musulmans de Côte d’Ivoire. Et depuis lors, les témoignages fusent pour montrer son dévouement pour la religion musulmane. Comme le signifie quelqu’un qui le connaît assez bien, Ahmed Kagone, l’imam a «vécu utile».
Nous avons sélectionné quelques posts faits par ce proche du président du Cosim sur sa page Facebook. Lisons ensemble.
«UNE VIE PLEINE ET UTILE
Mon cheikh Amara Bamba l’a très bien dit. Nous n’allons pas pleurer le cheikh, nous allons prier pour lui et nous allons célébrer sa vie.
Le cheikh Boikary a effectué son premier voyage aux États-Unis en 1993. Le jour de son retour, il me confia : Kagone, dès que je prends ma retraite, je viendrai chez vous. Il y’a du travail à faire ici.
Après cette retraite, il passera huit ans avec nous. Ça sera plus de 100,000 kilomètres parcourus de Boston à Atlanta, en passant par New York, New Jersey, Philadelphie, Washington et North Carolina, pour annoncer la bonne nouvelle de Dieu. Il a bravé l’hiver et a enduré la chaleur épouvantable avec nous. Ces communautés ont acquis des mosquées et sont très vibrantes jusqu’à ce jour.
Quand on lui disait de se reposer, il nous répondait qu’on ne fait plus de jihad avec l’épée de nos jours. Ça, c’est ma jihad disait-il.
Ya Allah, je fus témoin de son dévouement et de son engagement pour ta cause. J’ai observé sa sincérité et son don de soi. Pardonne à notre cheikh ses fautes et fais-le entrer dans ton paradis.
DÉVOUEMENT POUR LA CAUSE
Moussa Touré, que Dieu ait pitié de lui, était le chargé de protocole du cheikh dans les années 90. Leur relation était celle d’un père et fils.
Un jour d’été 1998, j’accompagne Moussa faire des entretiens sur la voiture du cheikh qui venait de rentrer d’une tournée à l’intérieur du pays. La note était salée. Je m’en plains auprès du cheikh. Il me répond qu’il dépense habituellement le triple à chaque tournée.
Les tournées de dawah étaient effectuées avec sa 300D diesel verte. Il assurait tous les frais associés aux déplacements. En cas de panne, il réparait la voiture de sa poche. C’est une habitude qu’il a gardée depuis le début de son engagement pour la dawah.
Le cheikh était installé à Bouaké au début de sa carrière professionnelle. C’est de là qu’il sillonnait l’entendue du territoire à l’invitation des élèves et étudiants, pour ne rencontrer souvent qu’une poignée d’élèves. Il ne se décourageait pas pour autant.
Le cheikh se déplaçait à ses propres frais, et il contribuait financièrement quelques fois à l’organisation de nos manifestations.
Pour ses déplacements à NY, il offrait de prendre en charge son transport et celui de son épouse. Ce que nous refusions bien sûr. Il a mis sa personne et ses biens au service de Dieu. Qu’il en soit récompensé !
« O vous qui avez cru, ne voulez-vous pas que je vous indique un commerce qui vous sauvera d’un châtiment douloureux ? Vous croyez en Allah et en Son messager et vous combattez avec vos biens et vos personnes dans le chemin d’Allah, et cela vous est bien meilleur, si vous saviez »! Coran 61:10,11
Que Dieu t’élève auprès de ses élus !
HOMME DE TOUT TERRAIN
Pour son premier voyage, j’adresse une lettre d’invitation en bonne et due forme qu’il présente à l’Ambassade pour son visa.
L’Ambassadeur invite le cheikh à son bureau et lui présente une autre lettre, provenant d’un membre de notre communauté résidant aux États Unis. Cette lettre expliquait à l’ambassadeur que le cheikh se rendait aux États Unis pour former des terroristes.
Cher imam, lui dit l’ambassadeur, je vous connais assez. Je sais que ce sont des saboteurs. Il obtiendra un visa de dix ans à multiples entrées.
Le cheikh ne me dira jamais l’auteur de ce fax adressé à l’ambassade même s’il savait que mes soupçons d’homme averti étaient fondés. C’est pas important, dit-il, il n’y a que notre travail sur le terrain qui va prouver notre bonne foi.
Ce fut d’abord du porte-à-porte dans environ deux cents familles. Puis, les rues de NY étaient prises d’assaut pour une dawah de proximité à la tablighi. Comme vous le constatez, c’était dans la neige. Le premier objectif était de ramener à la religion tous les frères qui avaient négligé leur pratique.
En 1998, après cinq ans de dawah, une première mosquée naîtra. Elle accouchera d’environ soixante autres mosquées et centres. À l’initiative du président Mamadou Cisse, Ces communautés se retrouveront bientôt pour célébrer l’œuvre du cheikh.
Ya Allah, la neige n’a pas empêché ce serviteur d’accomplir sa mission. Fasse Allah qu’il bénéficie de sa part de récompense dans cette œuvre !
CŒUR PURIFIÉ ET PURIFIANT
Récemment à Médine, le cheikh a été approché par un inconnu. Tu es de telle école de spiritualité, lui dit l’inconnu. Le cheikh est surpris. Il sourit mais ne répond pas. Il continue sa lente marche à l’intérieur de la sainte mosquée de Médine. Sa pratique spirituelle a toujours été une affaire très privée et personnelle. Il n’y a que les très proches qui connaissent la Tariqa du cheikh.
L’inconnu insiste et suit le cheikh. Il lui demande des duas. Le cheikh n’aime pas trop ça. Mais ce dernier insiste. Il dit ensuite au cheikh qu’il est un responsable du ministère de l’information Saoudien. Un long échange s’en suit. Les deux hommes maintiennent le contact.
Quand le cheikh m’a raconté cette histoire en novembre dernier, je lui ai rappelé une autre scène semblable qui a eu lieu 27 ans auparavant.
Ce jour-là, à la sortie du centre islamique culturel de NY, le cheikh a été encerclé par des inconnus. Ils ont échangé puis, avant de se séparer, l’un d’entre eux nous dit : vous ne savez pas la valeur de celui qui est avec vous.
Ceux qui ont réussi à purifier leur âme font scintiller la lumière de Dieu qui est en eux. Partout où ils se trouvent, ils attirent d’autres âmes pures.
Il arrivera un jour où le cœur sain et purifié sera la seule devise qui compte. Ce jour est arrivé pour le cheikh. C’est « Le jour où ni les biens, ni les enfants ne seront d’aucune utilité, sauf celui qui vient à Allah avec un coeur sain ». Coran 26: 88,89. Que Dieu nous purifie avant ce jour ! Repose en paix cheikh !
LA DERNIÈRE PRIÈRE
Notre mère Aisha (ra) était une femme coriace de tout point de vue, elle ne demeurait pourtant pas moins humble et très pudique. À sa mort, Elle demanda à être enterrée la nuit afin d’éviter les regards des hommes qui lui sont interdits. Allah !
Notre mère Aisha (ra) a influencé la génération de ceux qui ont vécu avec les compagnons, les tabiuns. Saïd ibn Mussayib était le grand savant de Médine, malgré la présence de certains compagnons. Pendant quarante ans, il n’a jamais manqué la prière en congrégation.
Saïd a été traîné dans sa culotte à travers la ville de Médine par les soldats de AbdulMalik. Il n’a pas résisté, croyant qu’on le dirigeait au lieu d’exécution. Une fois arrivé, il se rend compte qu’il serait fait prisonnier au lieu d’être exécuté. Je n’aurais jamais traversé la ville en culotte si je savais que vous n’alliez pas me tuer. Ça s’appelle la pudeur masculine.
À sa mort, Saïd a désigné quatre personnes pour l’enterrer la nuit, en toute discrétion. Je ne veux déranger personne dit-il. Il a même laissé de l’argent pour ses obsèques.
Le cheikh a été enterré en toute discrétion cette soirée. Dieu a voulu que ce soit fait en cette période de moindre mobilité. Un monde fou serait venu de tous les quartiers d’Abidjan, de l’intérieur du pays, des pays limitrophes et d’ailleurs.
C’était un jour de 5 Novembre 2019, le cheikh semblait épuisé et sous le coup du temps. De sa chaise roulante, il a officié ce qui serait pour moi la dernière prière en sa compagnie. C’était à l’aéroport JFK de New York, quelques instants avant son retour sur Abidjan.
Ce soir il a eu droit à sa dernière prière avant son retour vers le Seigneur qu’il a servi toute sa vie. Que Dieu ait pitié de lui et de tous nos défunts.
HOMME EXCEPTIONNEL
Depuis le début de la crise, le cheikh appelait chaque semaine pour s’enquérir de nos nouvelles.
La semaine dernière, la conversation entre notre maman son épouse, et la mienne était un peu longue. Moi je lui disais qu’on s’inquiétait plutôt pour lui.
Je dis alors à son épouse de le maintenir à l’abri des visiteurs. Elle me dit de le lui répéter moi-même. Peu que je sache, il avait le téléphone en main. Il a éclaté de rire et m’a dit qu’ils sont stricts avec les mesures de distanciation, et que lui-même ne sort plus.
La conversation fut inhabituellement longue. Après quoi, il me donna un Zikr à faire. Hier dimanche, il ne se sentait pas bien aux environs de 14h. Il fut dépêché dans un centre médical de la place. Quelques heures plus tard, il sera rappelé auprès du Seigneur qu’il a servi toute sa vie.
Ce qui le rend exceptionnel, c’est qu’il prête cette même attention à des milliers d’autres enfants comme moi. Ce vide sera réel pour beaucoup d’entre nous.
Que Dieu t’accepte en compagnie de ceux qu’il a honorés.»
Bakayoko Youssouf