La multiplication de sites d’extraction de bitcoins en Iran, dont des fermes géantes tenues par des entreprises chinoises, génère des pannes de courant à répétition.
Des Iraniens excédés par l’arrêt soudain de leurs climatisations alors que les thermomètres ont frôlé les 50 °C, une salle d’opération plongée dans le noir pendant une chirurgie… Les pannes électriques se sont multipliées cet été en Iran, occasionnant des incidents en chaîne. En cause, une surconsommation électrique provoquée par des fermes de cryptomonnaies qui a suscité la colère de la population.
Un mauvais scénario qui pourrait se répéter cet hiver, a alerté dimanche 10 octobre la compagnie publique de distribution d’électricité. Au moins « 10 % des pannes d’électricité de cet hiver » pourraient être causées par « l’utilisation des machines illégales de minage », a prévenu le fournisseur d’énergie. En effet, les autorités iraniennes ont autorisé de nouveau à la mi-septembre l’extraction de cryptomonnaies, après avoir interdit cette pratique énergivore à la mi-mai.
L’engouement pour les bitcoins, et la flambée des cours de cette monnaie virtuelle entraînent depuis plusieurs années la multiplication des « opérations de minage » visant à obtenir ces précieux bitcoins. Car outre l’achat de bitcoins sur des plateformes d’échange en utilisant des monnaies traditionnelles comme le dollar ou l’euro, il est possible de gagner des bitcoins par le « minage », une opération qui consiste à résoudre des énigmes informatiques à l’aide d’ordinateurs très puissants. Ces milliers de machines et leurs systèmes de refroidissement sont regroupés dans des « fermes à bitcoins » très coûteuses en énergie.
L’Iran est l’un des premiers pays à avoir légalisé le « minage » de bitcoins dès septembre 2018, à condition que ceux qui en fabriquent obtiennent une autorisation préalable auprès des autorités. En toile de fond, les transferts de cryptomonnaies, qui échappent au système des sanctions internationales, sont un moyen pour l’Iran d’atténuer les effets des sanctions américaines étouffant l’économie iranienne, selon des responsables.
Des investisseurs chinois fabriquent leurs bitcoins en Iran
Alléchées par les tarifs avantageux de l’électricité dans le pays, des entreprises étrangères, au rang desquelles des sociétés chinoises, se sont ruées en Iran, pour y pratiquer l’extraction de bitcoins
C’est à l’aune des coupures électriques répétées que la plupart des Iraniens ont découvert que les fermes les plus consommatrices étaient tenues par des investisseurs chinois, comme en témoigne un homme d’affaires iranien dans le domaine des nouvelles technologies, interrogé il y a quelques mois par Les Observateurs de France 24.
« La première fois qu’on a entendu parler de la présence d’investisseurs chinois dans cette industrie en Iran, c’est quand il y a eu une vague de coupures de courant en janvier 2020. (…) Tout ce qu’on savait, c’était que des investisseurs iraniens qui avaient des liens étroits avec le gouvernement, des partenaires commerciaux du gouvernement ou mêmes des militaires, avaient des fermes à bitcoins. Par exemple, j’en connais une près de Shiraz. Ils n’achètent même plus l’électricité au gouvernement, et ils ont construit leur propre centrale électrique », témoigne cet entrepreneur amer, qui a récemment tenté, sans succès, de créer sa propre ferme à bitcoins en Iran.
La plus grande de ces fermes de bitcoins iraniennes appartient à l’entreprise chinoise RHY. Elle est située près de Rafsanjan, une ville de la province de Kerman, dans le sud-est du pays. Une enquête conduite par la rédaction des Observateurs de France 24 en janvier avait permis d’en savoir plus sur son fonctionnement. Et selon RHY, le site consomme 175 mégawatts-heure (MWh), soit l’équivalent des dépenses en électricité d’une ville de 30 000 habitants ou un cinquième de l’électricité de Rafsanjan, la ville la plus proche.
Consommation d’une ville de 100 000 habitants
Les autorités iraniennes affirment qu’il existe pas moins de 14 fermes de bitcoins légales, sans en préciser les propriétaires. Au total, d’après les chiffres officiels, ces fermes consomment environ 300 MWh. Mais d’après des estimations indépendantes citées par Les Observateurs, ces chiffres sont largement sous-évalués et les méga-fermes coûteraient à l’Iran le double d’énergie, soit l’équivalent de l’électricité d’une ville de 100 000 habitants.
Outre la Chine, la Turquie bénéficie elle aussi des faveurs de responsables iraniens fournissant clé en main une licence et la permission de construire ces entrepôts géants de production de cryptomonnaies. Au moins une entreprise turque a ainsi été repérée par la rédaction des Observateurs à Semnan, dans le nord du pays.
Une ferme illégale dans les sous-sols de la Bourse de Téhéran
Selon un rapport parlementaire iranien, sur les 324 000 bitcoins « minés » annuellement dans le monde, 19 500 le sont dans la République islamique. Des chiffres qui ne prennent pas en compte l’existence de nombreuses fermes illégales, bien que celles-ci soient souvent de petite taille de façon à ne pas se faire repérer.
Plus d’un millier de sites d’extraction hors la loi ont été démantelés dans le pays l’an dernier, d’après la compagnie publique de distribution d’électricité iranienne.
Dernière découverte en date et non des moins surprenante : des machines de minage de cryptomonnaies non déclarées ont été découvertes dans les sous-sols de la Bourse de Téhéran, conduisant à la démission le 1er octobre du président de cette institution financière, Ali Sahraï.