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Dans le théâtre géopolitique du Maghreb, Washington joue une partition délicate, orchestrant ses relations avec le Maroc et l’Algérie selon une partition finement nuancée. L’analyse comparative des rencontres entre le Secrétaire d’État Antony Blinken et le ministre marocain, Nasser Bourita d’une part, et le Sous-secrétaire, John Bass et le ministre algérien Ahmed Attaf d’autre part, révèle une stratégie américaine différenciée, reflétant la complexité des enjeux régionaux.

La mise en scène de ces rencontres diplomatiques est éloquente. La réunion Blinken-Bourita se déroule dans un cadre prestigieux, évocateur du pouvoir américain : murs bleus, lustre imposant, portrait officiel. Cette théâtralisation du pouvoir contraste fortement avec le décor plus sobre de la rencontre Bass-Attaf. Ce choix scénographique n’est pas anodin ; il traduit visuellement la hiérarchie implicite dans les relations de Washington avec ces deux acteurs majeurs du Maghreb. La composition des délégations renforce cette lecture. Autour de Blinken et Bourita, une tablée fournie suggère des échanges larges et approfondis, tandis que la configuration plus restreinte de la rencontre Bass-Attaf indique des discussions plus ciblées, voire plus tendues. Cette différence de format reflète non seulement l’importance accordée à chaque relation, mais aussi la nature et l’étendue des sujets abordés. Le langage corporel des participants ajoute une couche supplémentaire à cette analyse. L’engagement visible et l’apparente cordialité dans la réunion Blinken-Bourita contrastent avec l’atmosphère plus formelle, presque rigide, de la rencontre Bass-Attaf. Ces nuances non verbales trahissent des niveaux de confort et de confiance différents dans ces relations bilatérales.

Les déclarations sur X (Twitter) de Blinken et Bass viennent confirmer cette lecture différenciée. Blinken parle de « collègue et ami » à propos de Bourita, évoquant un « partenariat stratégique fort » et des « objectifs de sécurité partagés ». Bass, en revanche, adopte un ton plus neutre, mentionnant des « discussions productives » et des « défis régionaux partagés » avec l’Algérie. Cette divergence rhétorique souligne la proximité stratégique avec le Maroc, contrastant avec une approche plus distante envers l’Algérie. Le dossier du Sahara occidental, bien qu’absent des déclarations officielles, plane comme une ombre sur ces interactions. Le soutien américain à la position marocaine sur cette question constitue un point de friction majeur avec l’Algérie, expliquant en partie la différence de traitement observée. L’utilisation des drapeaux lors de la rencontre Bass-Attaf, absents de celle de Blinken-Bourita, souligne paradoxalement un besoin de réaffirmer le caractère officiel de la relation avec l’Algérie, là où le lien avec le Maroc est plus établi et confortable. Cette stratégie différenciée reflète les défis auxquels sont confrontés les États-Unis dans la région. D’un côté, le Maroc apparaît comme un allié stable et fiable, partageant des intérêts sécuritaires communs. De l’autre, l’Algérie, avec son poids régional et ses ressources énergétiques, reste un acteur incontournable, malgré des divergences notables sur certains dossiers.

Abdelhakim Yamani, Président de l’Institut géopolitique Horizons, l’IGH

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