Il y avait une économie de la migration qui était visible, palpable au Niger. Le pays, considéré comme une des portes d’entrée des migrants vers l’Europe, était devenu un tombeau à ciel ouvert pour ces derniers. La loi 2015-36, adoptée le 26 mai, et entrée en vigueur en septembre 2016 a donné un gros coup de pied dans la fourmilière. Le business est devenu clandestin. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) enregistre 1096 décès, après la promulgation de ladite loi. Avant la mise en œuvre de la loi, il n’y avait que quelques cas de décès de migrants. Le rapport d’investigation publié ce 8 mai 2023 par l’organisation « Border Forensics » sur les décès des migrants au Niger le démontre. Cette nouvelle enquête met l’accent sur les effets mortels des contrôles frontaliers au Niger. «Nous avons enquêté sur la relation entre les pratiques frontalières, l’évolution des routes migratoires et les dangers de la traversée du désert. En 2015, avec le soutien des États et des agences européennes, le Niger a adopté une loi sur le trafic illicite de migrants. La loi 2015-36 n’a pas mis fin à la mobilité des migrants dans la région, au contraire elle a poussé leurs trajectoires vers des zones encore plus reculées du désert, créant ainsi des situations encore plus dangereuses et souvent fatales», s’alarme l’agence internationale. Elle souligne que c’est avec des méthodes géospatiales innovantes qu’elle a pu analyser la manière dont les pratiques de contrôle ont accru le risque de décès des migrants. Border Forensics est une agence mobilisant des méthodes innovantes d’analyse spatiale et visuelle pour enquêter sur les pratiques de violence aux frontières, partout où ces violences pourraient avoir lieu. «A la lumière des preuves empiriques et des effets mortels de la loi nigérienne n°2015-36 et de sa mise en œuvre, nous appelons aux actions urgentes suivantes destinées à promouvoir et à défendre la dignité et les droits des migrants et à promouvoir la justice en matière de mobilité. Tous les acteurs intervenant au Niger dans le domaine de la migration doivent unir leurs efforts pour améliorer la collecte de données sur le coût humain des contrôles aux frontières et les rendre accessibles au public. Des efforts plus importants devraient être déployés pour déterminer l’identité des migrants décédés en tentant de traverser le désert, et pour informer leurs familles. Tant que les migrants sont confrontés à des conditions de traversée dangereuses, des activités de sauvetage proactives doivent être mises en œuvre, et celles-ci ne doivent pas aboutir à la criminalisation, à l’arrestation et à la déportation des migrants», écrit-on. Contrairement à ce l’on pourrait pensé, la loi de 2015 a créé plus de problèmes qu’elle n’en résout. Selon Border Forensics, le narratif de la «mission accomplie» distillé par le gouvernement nigérien et ses partenaires internationaux veut montrer un certain succès. Il n’en est rien. Puisque les enquêteurs qui s’appuient également sur les témoignages de journalistes, activistes et chercheurs montrent que «cette loi a exacerbé les dangers de mort auxquels les migrants sont confrontés durant leur traversée du Sahara».
L’agence est donc claire dans ses recommandations. «Tous les acteurs- qu’ils soient nigériens, européens, des agences des Nations Unies ou autres- ayant participé à l’élaboration et à la mise en œuvre de la loi devraient être tenus responsables de l’augmentation des décès et des souffrances des migrants qu’elle a entraîné».
Stéphane Badobré