En août 1990, deux semaines avant l’invasion du Koweït, Saddam Hussein a fait venir dans son bureau l’ambassadrice américaine à Bagdad pour lui demander quel pourrait être l’avis des États-Unis sur un éventuel conflit entre deux pays arabes. La diplomate a répondu que son gouvernement n’avait pas d’opinion sur un tel sujet qui ne concernerait au final que les belligérants en question.
Ayant pris cela comme un feu vert de Washington, Saddam Hussein a lancé ses troupes à l’assaut du petit Émirat pétrolier qui fut en quelques heures seulement envahi et capturé. Les Américains qui, après l’avoir utilisé pour tenter de renverser la jeune République Islamique d’Iran à travers la Guerre Iran-Irak entre 1980 et 1989, tenaient là une occasion inespérée pour se débarrasser de lui et de son régime nationaliste jugés dangereux pour l’existence d’Israël. Toute la politique américaine au Proche et Moyen-Orient est construite autour de la protection d’Israël.
Les Etats-Unis ont donc tôt fait de mobiliser une coalition internationale pour lancer l’opération «Tempête du Désert» en janvier 1991 de laquelle (avec les sanctions qui causeront la mort de plus de 500 milles enfants irakiens en 10 ans) le régime de Saddam Hussein ne se relèvera jamais jusqu’à son extinction définitive en mars 2003.
Après la mise hors d’état de nuire de Saddam Hussein, les Américains qui travaillent à préserver la supériorité militaire d’Israël (qui détiendrait selon des sources bien informées plus de 600 ogives nucléaires) dans la région du Proche et Moyen-Orient, ont vu dans la révélation en 2002 de l’existence du programme nucléaire iranien, du pain bénit et une fenêtre de tir pour caporaliser et amener à composition la République Islamique d’Iran dont Ronald Reagan disait que personne ne peut se désintéresser de l’avenir.
Alors même qu’ils maintiennent l’Iran sous une série de sanctions économiques, financières, diplomatiques et politiques depuis la victoire de la révolution Islamique en 1979, les Etats-Unis poussés dans le dos par Israël vont accentuer leurs sanctions avec de nouvelles mesures et exercer sur l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, seule habilitée à vérifier la nature des programmes nucléaires mis en place par les différents pays, une pression de cent kilotonnes au millimètre carré afin de l’amener à dire que l’Iran violait le Traité sur la Non-Prolifération des armes Nucléaires (TNP) de 1968 et surtout de transférer le dossier devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, donc pratiquement dans leurs mains.
Mais, si l’AIEA a continué à affirmer qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de la déviation du programme nucléaire iranien dont les autorités de ce pays affirment qu’il est pacifique, vers un programme militaire, le dossier atterrira finalement sur la table du Conseil de Sécurité.
Les velléités guerrières des autorités israéliennes pour trancher cette affaire, seront compromises par la volonté du Président Obama de négocier avec l’Iran notamment en ce qui concerne l’inspection internationale de ses sites nucléaires et de son programme d’enrichissement de l’Uranium. Il faut rappeler que le programme nucléaire iranien a été initié et encouragé par les Etats-Unis dès 1953 avec le Shah puis par les puissances occidentales comme la France et l’Allemagne qui ont construit les premières centrifugeuses du pays.
Les négociations entre l’Iran et les Etats-Unis accompagnés par les quatre autres membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne, que Netanyahou essayera par tous les moyens de torpiller, aboutissent malgré tout après plus de 10 ans, à la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien le 14 juillet 2015.
En rapport avec cette question, l’arrivée de Trump au pouvoir en 2016, a été comme celle du Messie annoncée par les saintes écritures pour Netanyahou. En effet, Trump retire dès la première minute de son entrée dans le Bureau Oval devant les caméras du monde entier qui s’y étaient précipitées, les Etats-Unis dudit accord et les efforts des autres signataires notamment européens pour le maintenir en vie furent vains, au grand soulagement et contentement de Netanyahou.
L’accord mort, des actions non revendiquées sont menées sur le sol iranien pour éliminer des scientifiques impliqués dans son programme nucléaire. L’Iran se contente alors de dénoncer ces assassinats et d’accuser Israël d’être l’instigateur sans plus ou presque.
Toujours dans le but d’accentuer la pression sur la République Islamique, Trump initie les accords d’Abraham qui matérialisent au grand jour le rapprochement entre Israël et de nombreux pays arabes dans le seul but de l’isoler et la présenter comme un épouvantail pour ses voisins. Il n’est donc pas étonnant que certains de ces pays arabes aient participé à intercepter les drones et missiles iraniens lancés contre Israël dans le nuit du 13 au 14 avril dernier.
Ces gouvernements arabes qui sont souvent en déphasage avec leurs opinions publiques ont non seulement enterré la puissante et très réactive Ligue Arabe qui mettait au centre de ses préoccupations la question Palestinienne, mais aussi et surtout abandonné le peuple palestinien à son sort. Leurs réactions face au drame qui se joue à Gaza depuis 6 mois est la preuve de ce que le peuple palestinien ne peut plus compter sur eux pour sa défense.
Après la riposte de l’Iran au bombardement de son consulat à Damas, Israël promet de réagir de manière décisive. L’Iran de son côté promet une réponse «sévère et douloureuse» en cas d’attaque d’Israël. Les Etats-Unis, eux assurent qu’ils ne s’engageront pas dans une guerre contre l’Iran initiée par Israël. Sauf que cette promesse sonne comme la réponse de l’ambassadrice américaine à Saddam Hussein en août 1990.
Pour beaucoup d’observateurs, la contre-offensive ou contre-réaction israélienne promise, qu’elle soit ouverte ou secrète, va viser en priorité les sites et installations nucléaires de l’Iran.
Ce pays qui vient de franchir une ligne rouge en s’attaquant directement au territoire israélien a désormais la main et selon son Vice-Ministre des Affaires Etrangères : «ils (les Israéliens) ne doivent pas répéter cette erreur, parce que la répétition est une erreur. (…) Ils doivent savoir qu’ils n’auront pas toujours la réponse qu’ils attendent. La réponse qu’ils recevront ne sera pas mesurée en heure ou en jour, mais sera très rapide et se fera en quelques secondes».
Vu la détermination des deux protagonistes, il est à souhaiter que les efforts diplomatiques pour obtenir une désescalade aboutissent afin de faire faire au monde l’économie d’une nouvelle tragédie. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, estime face à ces menaces de part et d’autre qu’il y a déjà suffisamment de conflits sanglants à travers le monde et qu’il faut à tout prix éviter d’en rajouter.
Tout cela devra se régler avant le probable retour aux affaires de Trump en janvier prochain qui donnerait alors du fil à retordre à la communauté internationale pour éviter l’avènement de thermidor.
Moritié Camara
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales