Le Mali est un abonné aux troubles institutionnels. Depuis son indépendance en 1960, ce pays a connu quatre coups d’Etat (1968, 1991, 2012 et 2020), quatre rébellions (1963, 1991, 2006 et 2012) et vit sa quatrième transition politique depuis l’intervention militaire du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le 18 août 2020. Cette instabilité chronique et la crise actuelle ont de multiples causes.
Double coup d’Etat. Les militaires se sont illustrés négativement en renversant le défunt président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) par un coup d’État le 18 août 2020 et en déposant ensuite Bah N’Daw, président de la transition de septembre 2020 à mai 2021. Les graves tensions sécuritaires qui secouent le pays, marquées par la présence de mouvements armés autonomistes, d’insurgés jihadistes et de groupes d’autodéfense à base communautaire, sont symptomatiques d’une crise qui touche le cœur de la démocratie malienne longtemps mise à mal.
La crise avec la Cedeao. L’organisation sous-régionale n’a jamais adoubé les putschistes. Les textes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) limitent la durée des transitions à six mois débouchant sur l’organisation des élections. Cette règle est loin d’être respectée par les putschistes au pouvoir au Mali. Après avoir mis en garde les autorités de la transition, dimanche 9 janvier 2022, les dirigeants de la Cedeao frappaient fort en coupant les aides financières au Mali. Les dirigeants ouest-africains allant jusqu’à geler les avoirs du pays du colonel Assimi Goïta à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). Les pays membres de la Cedeao (15 moins le Mali) ont également pris la décision drastique de fermer les frontières avec le Mali et de suspendre les échanges économiques, à l’exception des produits de première nécessité. La crise diplomatique s’envenimait entre le Mali et la Cedeao sur la question du retour à la démocratie à Bamako et de la restitution du pouvoir aux mains des civils. Cette batterie de mesures était la réponse au nouveau calendrier proposé par la junte de Bamako, qui demandait 5 ans à compter du 1er janvier 2022 pour rendre le pouvoir aux civils. Ce qui est inacceptable pour la Cedeao qui a décidé de frapper Bamako au porte-monnaie. Des sanctions économiques déjà prises lors du putsch de 2020, vite abandonnées grâce, à l’époque, à la bonne volonté de la junte.
Les atermoiements des militaires sur le calendrier. Après le premier putsch du 18 août 2020, les militaires avaient promis des élections législatives et présidentielle en février 2022. Mais aujourd’hui, ils réclament plus de temps pour mener des réformes avant ces élections. Les militaires se proposent même de refonder l’Etat malien, de panser les plaies du Mali. Après un mois de consultation nationale, les Assises de la refondation ont recommandé une prolongation de la transition de six mois à cinq ans, sans fixer une date pour les élections. Ces conclusions signifient clairement la prolongation de la junte au pouvoir. Cela se voyait à travers les visites d’émissaires maliens porteurs d’un nouvel agenda dans plusieurs capitales africaines. Le dessein était de ramener la transition malienne à la case départ après un an et demi d’atermoiements.
Cette prolongation intervient en pleine polémique sur le recours des autorités de Bamako à l’expertise russe dans la lutte contre le terrorisme.
La gestion du dossier Wagner. Les autorités de la transition ont franchi le Rubicon avec la présence des fameux mercenaires russes du groupe Wagner sur le terrain au Mali. Longtemps évoqué, le déploiement du groupe Wagner a été confirmé le jeudi 6 janvier par un porte-parole de l’armée malienne. Selon plusieurs sources, quelque 300 soldats russes se sont déployés à Tombouctou, dans le nord du Mali. Mission: assurer l’entraînement des forces maliennes dans une base que les troupes françaises ont quittée en décembre. Ce possible recours aux forces du groupe Wagner interroge quant aux motivations de la junte en place à Bamako, arrivée au pouvoir en 2020 à la suite d’un putsch. Surtout à un moment où la communauté internationale, à travers la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), assiste militairement le Mali. Et les efforts de l’opération antiterroriste Barkhane, engagée en 2014 par la France au Sahel. Sans oublier que de son côté, la Cedeao mobilise sa force militaire parer à toute éventualité. La présence militaire au Mali s’est intensifiée et enracinée au fil du temps, avec 5100 soldats français de l’opération antiterroriste Barkhane (en 2016),13000 soldats de la Minusma, 5000 militaires de la force sous-régionale G5 Sahel.
Ce sont tous ces efforts que la junte à Bamako veut saper.
Le peuple malien comme bouclier. Le récidiviste putschiste de Kati, principal camp militaire situé dans la banlieue de Bamako, engage son bras de fer politique et diplomatique avec la Cedeao en se cachant derrière le peuple malien. Assimi Goïta et ses camarades se sont appuyés sur ces fameuses Assises nationales pour donner un cachet national à leur volonté de s’installer durablement au pouvoir. Sous le couvert de cette foire, le colonel Assimi Goïta veut sanctuariser la transition et, pourquoi pas, son propre avenir à la tête de l’État malien. Ce que la Cedeao ne peut cautionner. C’est tout le sens des mesures coercitives prises par l’institution sous-régionale le 9 janvier courant. Il s’agit pour la Cedeao de ne pas lâcher prise dans ce bras de fer où elle joue sa crédibilité. Sachant que l’exemple malien pourrait constituer un précédent, notamment pour la Guinée voisine. Où des militaires tiennent également les rennes du pouvoir.
La junte malienne veut s’affranchir de la France et de la Cedeao. Et par ricochet se jeter dans les bras de la Russie. Ce qui compromet gravement les efforts dans la lutte anti-djihadiste au Sahel.
Les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao ont certainement beaucoup plus d’informations fiables sur le tour de vis que les putschistes veulent donner à la transition. Engager le Mali dans une incertitude avec le risque de suspendre des projets à valeur ajoutée dans ce pays, de détourner de potentiels investisseurs. Cette situation ne pourrait profiter qu’aux djihadistes au nord et au colonel Assimi Goïta et compagnie qui ont leurs agendas personnels.
Stéphane Badobré