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Si le règne des dictateurs a jalonné l’Histoire de l’humanité depuis l’antiquité, il a connu son apogée au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Partout, de l’Europe à l’Amérique latine, en passant par l’Asie et l’Afrique après les indépendances, des potentats ont soumis des millions de personnes à un contrôle policier et psychologique qui les ont réduit au rang de prisonniers du Soleil.

La philosophe Hannah Arendt décrit les raisons de cette poussée dans son livre considéré par beaucoup comme le plus important du 20è siècle : Le Totalitarisme.

Très peu de ces dictateurs ont eu la permission de la providence de mourir comme Staline et Franco dans leur lit et dans leur pays. La majorité a fini par connaître une mort violente ou un exil humiliant et sans retour.

Mais quelles que soient les modalités de leur chute, ils sont soumis comme tout être humain à une période de doute consécutive au spleen qui finit par traverser leur carapace pour siéger dans leur tête au soir de leur règne.

Ce spleen existentiel qui radicalise leur mélancolie et le sentiment qu’ils ont de ne pas être compris, les amène à comprendre qu’ils sont également des êtres humains; de simples êtres humains, faits de chair et de sang.

Cette brusque révélation de leur humanité les plonge dans une immense insécurité psychologique et le plaidoyer de leur tribunal intérieur a pour question centrale : Pourquoi ? Pourquoi tout cela ? Pourquoi dois-je continuer à me « sacrifier » pour un peuple et des gens qui ne comprennent rien à mes actions salvatrices et à la supériorité de mon esprit et qui me jugent comme un suppôt du diable ? Pourquoi devrais-je poursuivre ce « sacerdoce » ?

Toutes ces délibérations, qui rendent leur sommeil court et décuplent leur paranoïa, finissent par avoir raison de leur détermination à continuer d’être ce qu’il sont devenus.

Cette faiblesse, prémisse d’une résignation, est ressentie instantanément par les membres du premier cercle qui les entoure.

Ces derniers prennent alors des dispositions pour leur propre suivie en adoptant une attitude de plus en plus distante si ce n’est un retournement de veste.

Lorsque le potentat se rend compte que les rats commencent à quitter le navire, il cherche également son propre salut.

Dès lors, il devient prisonnier de cette obsession de tout abandonner. Durant cette période, il est incapable de donner les mêmes ordres qui l’ont jusqu’à ce moment maintenu au pouvoir.

Ceux qui veulent sa chute sentent également ce changement et poussent leurs avantages avec plus d’assurance.

L’exemple contemporain le plus emblématique est celui du Shah d’Iran.

Au sommet de sa puissance, il termine l’année 1977, sous de très favorables auspices qui étaient autant de promesses d’une gloire encore plus éclatante.

Avec le couple présidentiel américain qui est venu passer le réveillon de la nouvelle année 1978 avec lui dans son palais de Niavaran, il se sentait plus que rassuré.

Très confiant, mais se sachant atteint d’un cancer qu’il a réussi à cacher à tout le monde, même à l’impératrice, il se dit qu’il est temps de préparer sa relève en s’attaquant au seul adversaire qu’il n’avait pas réussi à caporaliser jusqu’à présent.

Il suscite dès les premiers jours du mois de janvier un article dans la presse pour dénigrer, avec des mots et des allusions inacceptables pour la majorité des iraniens, l’ayatollah Khomeiny alors paisiblement en exil en Irak.

Le cycle de manifestations – répressions déclenché par cet article corrosif, va rythmer toute l’année 1978 avec à la clef des centaines de morts et surtout un sentiment d’incompréhension chez le Shah.

Il était choqué par « l’ingratitude d’un peuple qu’il a conduit à un niveau de vie semblable à celui des occidentaux ».

Ce sentiment d’ingratitude et de trahison à son égard l’a plongé dans un profond spleen et une grande insécurité psychologique.

En novembre 1978, il a décidé de tout laisser tomber et de s’en aller. Pendant que les manifestations prenaient de plus en plus d’ampleur, il souffrait du jugement de la presse internationale à son égard qui le présentait comme le méchant. Lui le roi éclairé qui avait initié la révolution blanche pour émanciper son peuple.

Il était à la tête de la 5è armée du monde, très bien équipée et majoritairement restée fidèle. Ses généraux venaient au palais supplier de leur donner des ordres, mais depuis longtemps il n’en donnait plus. Laissant à ces derniers la prise d’initiatives pour calmer ou contenir ce ‘ »peuple ingrat ».

Soumis aux délibérations de son esprit cherchant des réponses à la question : « pourquoi ». Il voulait au plus vite quitter l’Iran, mais pour aller où ?

Les pontes de son régime fuyaient un à un le pays. Prétextant la nécessité de suivre des soins à l’étranger, ils faxaient tous leurs argents dans des banques occidentales avant de disparaître avec leurs familles sans prendre la peine de lui dire aurevoir.

Jimmy Carter qu’il croyait être son ami, en pleine campagne pour sa réélection, ne voulait pas de lui aux Etats-Unis. Margaret Thatcher qui, pendant sa campagne, avait juré la main sur la bible qu’elle aurait honte d’être anglaise si elle ne le recevait pas, a changé d’avis depuis qu’elle est devenue Première Ministre de la Grande Bretagne. Il était devenu un personnage encombrant pour tous les grands de ce monde qui lui mangeaient pourtant dans la main.

Il pouvait aller en Suisse où il possède un chalet dans lequel il a reçu tous les grands de ce monde, mais le climat était mauvais pour sa santé.

Pendant que son armée réclamait avec insistance ses ordres, lui restait accroché au téléphone avec le peu d’amis qui lui restait désormais du fait de la campagne médiatique qui le présentait comme un monstre froid.

Parmi ces derniers amis restés fidèles, David Rockefeller, qui remuait ciel et terre pour lui trouver un point de chute, tout en travaillant pour faire perdre l’élection présidentielle à Carter qu’il qualifiait de traître.

Finalement, l’invitation qui lui a été adressée par le Président Égyptien Sadate : « d’accepter de l’honorer de sa visite » fut accueillie comme la chose la plus merveilleuse qui lui est arrivée en 37 ans de règne.

C’est ainsi que le 16 janvier 1979, il quitta Téhéran au milieu des pleurs de ses généraux pour ne plus y revenir.

Avant de mourir le 27 juillet 1980 dans un hôpital au Caire, il a pris la peine de publier ses Mémoires sous le titre évocateur : « Réponses pour l’Histoire ».

Ce spleen dévastateur qui enlève toute envie aux dictateurs a également touché le Président syrien Bachar el-Assad.

En effet, selon les révélations du Washington post, peu de temps avant sa destitution, il a refusé un deal présenté par les Américains.

Ces derniers lui avaient proposé via les Émirats arabes unis de cesser de mettre à la disposition de l’Iran le territoire syrien pour l’approvisionnement du Hezbollah en échange d’une levée progressive de sanctions contre la Syrie.

Un autre élément qui lui aura été encore plus fatal a été son refus d’établir de bons rapports avec le Président turc Erdogan qui proposait une normalisation bilatérale en échange de l’endiguement des groupes kurdes et du retour d’au moins une partie des réfugiés syriens dans le pays.

Plus surprenant encore, il a refusé les modalités de l’aide proposée par l’Iran dès le déclenchement de cette offensive des rebelles.

Larijani, le principal Conseiller du Guide Suprême de la République Islamique d’Iran, l’a rencontré le 6 décembre soit deux jours avant sa reddition, pour une fois encore proposer les demandes de l’Iran pour une intervention directe en Syrie.

L’Iran était prêt à une intervention globale et à grande échelle en Syrie.

Toutes les forces et ressources ont été préparées, et même une partie de ces forces a été envoyée dans l’une des bases éloignées de l’armée syrienne.

Cependant, les demandes nombreuses et persistantes de l’Iran ont été rejetées par Assad qui n’avait plus qu’une seule envie : partir !

Lui, l’ophtalmologiste devenu dauphin après la mort de son frère, puis dictateur à la mort de son père, souffrait de l’image que le monde avait de lui.

Sa femme, Asma lui avait conseillé de renoncer dès 2011, mais il avait refusé et voilà maintenant dans quelle situation il se trouvait.

Il était épuisé, tout comme ses généraux qui ont laissé les rebelles avancer sans véritablement combattre. C’est d’ailleurs ces mêmes Généraux qui donneront la nouvelle de son départ avant de faire allégeance aux rebelles.

Les seules paroles qu’il voulait entendre étaient celles des Russes qui lui ont proposé une sortie en douceur afin d’éviter de subir le même sort que Khadafi.

Comme le Shah d’Iran face à l’invitation de Sadate, il fut soulagé de démissionner et de partir vivre en paix en Russie.

Comme le Shah, il écrira sûrement ses réponses pour l’histoire.

Mais avant, à la chute ou face à la mort d’un dictateur, ces mots de Shakespeare tirés de « la Tragédie du Roi Richard » doivent nous revenir :

« Au nom du ciel, asseyons-nous à terre, — et disons la triste histoire de la mort des rois : — les uns déposés, d’autres tués à la guerre, — d’autres hantés par les spectres de ceux qu’ils avaient détrônés, — d’autres empoisonnés par leurs femmes, d’autres égorgés en dormant, — tous assassinés ! (…) Couvrez vos têtes, et ne vous moquez point — car celui qui vient de s’en aller était de chair et de sang comme vous ! »

Prof. Moritié Camara 

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