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L’idée d’un système politique dans lequel la volonté du peuple s’exprime à travers ses représentants, nait au 18ème siècle en Europe et aux Etats-Unis.

A contrepied de la Démocratie directe d’Athènes, la Démocratie Représentative, fait le choix de la souveraineté nationale au détriment de la souveraineté populaire, donc du mandat représentatif au détriment du mandat impératif.

L’élu qui n’est pas le propriétaire mais uniquement le dépositaire de son mandat, a cependant la liberté d’agir à son idée et de ne pas respecter un engagement pris envers le peuple. Ce dernier se réservant le droit de juger sa manière d’accomplir sa tâche en lui retirant ou renouvelant sa confiance après un temps bien déterminé.

La limitation temporelle d’un tel mandat, consubstantielle à sa nature, est donc définie selon le niveau de responsabilité de l’élu et varie d’un pays à l’autre, tout comme le nombre, qu’un seul et même individu peut exercer pour une fonction donnée. Ce dernier aspect qui est source de controverses dans la quasi totalité des pays africains, est considéré à tort comme un baromètre d’appréciation du degré de conscience Démocratique de celui qui part ou se visse à son fauteuil.

Ces controverses se caractérisent le plus souvent par des amalgames qui nuisent fatalement à l’intelligence des débats, figent inutilement les postures et provoquent subrepticement des violences vides d’objet.

Beaucoup sont en effet hostiles à toute nouvelle réélection d’un même individu à la magistrature suprême de son pays, faisant du chiffre 2, celui du Rubicon qu’un Président ne peut franchir en terme de nombre de mandat sans occasionner des crises d’urticaire chez ses détracteurs.

Pour légitime que puisse être une telle posture, il n’en demeure pas moins qu’elle a été forgée à partir d’amalgames cultivés, entre l’antidémocratique et l’anticonstitutionnel ; créant ainsi dans l’esprit de beaucoup un lien de causalité ou de conséquence mécanique entre les deux, ce qui n’est pas juste. Loin s’en faut !

Il faut savoir que s’il est simplement anticonstitutionnel de prétendre à un nouveau mandat au-delà de ce que prévoit la Constitution ou la loi fondamentale de ce pays, un dirigeant en Démocratie peut se renouveler autant de fois qu’il conserve la confiance du peuple comme, en Allemagne, en Grande Bretagne, au Japon et aux Etats-Unis avant l’entrée en vigueur du 22ème amendements de la constitution le 26 février 1951.

En effet, la Constitution américaine de 1787 à 1947 ne comportait aucune disposition limitant le nombre de mandat présidentiel. La tradition qui a fait croire à cela, a été instituée par le Premier Président Georges Washington, qui après ses plébiscites en 1788 et 1792 a décidé alors que rien ne l’empêchait juridiquement, de ne pas se représenter en 1796 pour un troisième mandat.

Il estimait de manière tout à fait délibérée que malgré son relatif jeune âge (64 ans) et sa grande popularité, que la permanence d’un même homme dans les fonctions de Président pouvait nuire au bon fonctionnement des institutions républicaines.

Ses successeurs vont se conformer à cette préconisation sans jamais y être obligés d’ailleurs, renforçant ainsi son bien-fondé et sa rigueur jusqu’en 1940 avec le Président Roosevelt.

Ce dernier est élu en 1932, dans un pays ravagé par les effets de la crise économique de 1929. Les réformes qu’il met en œuvre à travers notamment le « New Deal » vont littéralement ressusciter le pays et justifier sa brillante réélection en 1936. En 1940 à la fin de son second mandat, les américains tenaient toujours au « New Deal » comme un naufragé à son bouet de sauvetage et souhaitaient également que leur pays reste en dehors du conflit qui faisait rage depuis septembre 1939 en Europe et qui allait devenir mondial.

Roosevelt se pose alors comme le seul un homme politique expérimenté avec une immense connaissance des affaires internationales, capable de leur garantir cela. Son parti qui le désigne comme candidat et également les américains qui le réélisent triomphalement en novembre en sont également convaincus.

C’est toujours en Homme providentiel convoqué par des situations de force majeure, qui travaille cette fois activement à l’avènement d’un nouvel ordre mondial après le conflit, qui est réélu en novembre 1944 pour un quatrième mandat qu’il ne pourra terminer du fait de son décès le 12 avril 1945.

Sa grande fatigue physique et intellectuelle à la fin de sa vie, va cependant servir d’argumentaire pour lancer le débat sur les effets du temps sur la santé et la psychologie de celui qui exerce trop longtemps la fonction de commandant en chef.

Très vite, la fonction présidentielle est considérée par beaucoup comme « a killing job », le travail qui tue. C’est ainsi que le 22ème amendement de la constitution, limitation les mandats présidentiels à deux est adopté en 1947.

Durant les débats, d’ailleurs certains ont suggéré de rallonger la durée du mandat de 4 à 6 ans et de le rendre unique. L’inconvénient qui fut retenu était de voir à la tête du pays à chaque nouvelle élection un Président inexpérimenté.

La durée et le nombre de mandat d’un individu à un poste électif sont donc très souvent vus comme signe de stabilité et une garantie de réussite d’une gouvernance.

La chancelière allemande Angela Merkel, réélue en 2018 pour un quatrième mandat a été perçue comme la garante de la stabilité politique et économique non seulement de l’Allemagne mais également de l’Union Européenne. Son départ volontaire a coïncidé comme par hasard à l’enchevêtrement de l’Europe dans le conflit ukrainien que son successeur n’a pas su éviter en se laissant entraîné dans l’impasse par d’autres dirigeants va-en-guerre.

Le Président Houphouët-Boigny est resté 33 ans à la tête de la Côte d’Ivoire et ces années restent les plus heureuses que ce pays n’a jamais connu en terme de stabilité politique, de prospérité et de cohésion sociale.

Dès lors, les controverses sur le nombre de mandat en Afrique apparaissent, plus comme des combats politiciens d’arrière-garde qu’une quelconque volonté de promouvoir la Démocratie ou toute autre chose qui lui ressemble.

L’essentiel pour le personnel politique africain devrait être de travailler à l’émergence de l’Etat de Droit qui garantisse l’égalité de tous devant la loi et amène les dirigeants à se convaincre que l’État qu’ils gouvernent ne leur appartient pas ( ce que la plupart refuse d’admettre) et qu’ils devront donc à la fin de leurs mandats répondre des modalités de leur gouvernance.

Ceux qui se battent donc contre le nombre et la durée des mandats des dirigeants africains sont dans l’imposture s’ils prétendent le faire au nom de la Démocratie.

Les Africains sont malheureusement occupés ( à dessein souvent), par des débats et controverses qui absorbent inutilement l’énergie qu’ils pourraient utiliser pour faire avancer la réflexion et les actions sur des aspects essentiels au développement de leurs pays dans un monde où ces derniers semblent exclus de tous les progrès.

Moritié CAMARA
Professeur des Universités en Histoire des Relations Internationales

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