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« J’ai longtemps hésité à écrire ce texte sur la situation qui prévaut à l’université depuis l’assassinat Agui Mars Aubin Deagoué alias «Général Sorcier» parce que les circonstances sont graves et les répercussions dangereuses. Mais aussi parce que dans cette lourde atmosphère, un mot mal placé peut conduire à une interpellation judiciaire puisque les enquêtes sont en cours.

J’ai longtemps hésité à écrire ce texte parce qu’en 2008, j’ai rendu démission des charges que j’avais à la FESCI. Je n’ai pas simplement arrêté de militer. J’ai écrit un courrier de démission adressé au bureau national et j’ai continué mes études tranquillement. Cette démission faisait suite au constat que le mouvement n’allait pas dans la bonne direction.

Les deux raisons sus-évoquées auraient pu me pousser soit à me taire ou à me réjouir du sort réservé au mouvement ces jours-ci en me targuant d’avoir prévenu.

J’ai longtemps hésité à écrire ce texte parce que la FESCI n’a plus bonne presse et qu’elle a fini par dégouter nombre d’étudiants. Par conséquent, étant engagé en politique, le conseil serait de ne pas aborder des sujets susceptibles de ramer dans le sens contraire du vent pour ne pas s’attirer les foudres de ses partisans.

Et pourtant, il me faut parler à la fois pour l’histoire et pour la postérité.

Lorsque la FESCI naît en 1990, c’est en réaction au MEECI qui est le Mouvement des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire, une sous-section du PDCI-RDA. Ainsi donc, avant la naissance de la FESCI, tous les élèves et étudiants de Côte d’Ivoire étaient de facto considérés comme des militants du PDCI-RDA qui était le parti-État.

Cette naissance se fait dans un contexte politico-économique à la fois international et national.
Au plan international, c’est la chute du mur de Berlin. Les bouleversements de l’année 89 en Allemagne et en Europe ont suscité l’envie d’une ère démocratique dans de nombreux pays africains : On l’a appelée :  » le vent de l’Est  » qui a enchanté nos jeunesses.

Au plan national, c’est la mise en place du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) par le Premier ministre Alassane Ouattara avec son corollaire de coupes budgétaires et de réduction des acquis sociaux des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire.

L’envie de plus de démocratie et de liberté et la défense des intérêts des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire ont donc conduit à la création de la FESCI soutenue, encouragée et souvent même encadrée par les leaders de l’opposition de l’époque que sont Bamba Moriferé, Laurent Gbagbo, Francis Wodié et Zadi Zaourou.

Ces deux notions apparaîtront clairement dans les statuts et règlements intérieurs de la FESCI. Elle affirmera d’abord qu’ «il ne peut y avoir d’école nouvelle sans démocratie véritable» et ensuite en son article 7 : «Pour la défense des intérêts matériels et moraux de ses militants, la FESCI privilégie la voie de la négociation. Mais en cas de rupture ou de blocage de cette procédure, la FESCI se réserve le droit de recourir à toute forme d’action qui lui paraîtra opportune, nécessaire et efficace pour la satisfaction de
ses revendications.»

Dès sa création, le mouvement va être fortement réprimé par la violence étatique. Ses principaux leaders feront plusieurs séjours en prison après avoir subi des brimades. Pour lutter et se défendre contre le régime du PDCI, les Fescistes s’entraînent et se structurent de manière quasi-militaire. Cette culture militaire va rester ancrée dans le fonctionnement de la structure.

Le 17 mai 1991, à la cité universitaire de Yopougon, après un mouvement de protestation étudiante, organisé à l’appel de la FESCI, à 2 heures du matin, les para-commandos de la Force d’Intervention rapide para-commando (Firpac), une unité d’élite de l’armée ivoirienne, dirigée par le commandant Faizan Bi, fait une descente musclée dans la cité universitaire et se livre aux pires exactions : viols d’étudiantes, tortures, arrestations. L’opposition d’alors exige une commission d’enquête parlementaire qui rendra des conclusions accablantes.

Le 21 juin 1991, la FESCI est dissoute, et son secrétaire général Martial Ahipeaud jeté en prison. Non seulement cette décision est nulle d’effet, mais elle précipite la FESCI dans la clandestinité, l’aguerrissant davantage.

Fin janvier, 1992 le président Félix Houphouët-Boigny annonçât qu’il ne prendrait aucune sanction contre le chef d’état-major de l’armée, le général Robert Gueï, mis en cause par la commission.
En 1996, Soro Guillaume réussit à réhabiliter le mouvement et à en faire un acteur sérieux du système éducatif avec qui le gouvernement accepte de discuter.

A son départ, Blé Goudé Charles héritera du mouvement qui va connaître sa plus grande crise appelée également «crise des machettes» qui, selon de nombreux observateurs, fait suite à la volonté du RDR, de récupérer le mouvement. Cette crise qui va ternir considérablement l’image du mouvement perdurera jusqu’au coup d’Etat de 1999. Les principaux acteurs de la dissidence contre Blé Goudé Charles se retrouveront plus tard dans la rébellion qui déchire la Côte d’Ivoire en septembre 2002.

L’avènement du Président Laurent Gbagbo au pouvoir marque un tournant décisif dans l’histoire de la FESCI. Pour la première fois, le mouvement a en face de lui un «pouvoir ami» ; c’est-à-dire qui ne le traque pas. La FESCI doit obligatoirement faire sa mue. Le mouvement révolutionnaire doit se muer en mouvement réformiste. Il n’y parvient pas. Les réflexes hérités de la répression et de la clandestinité ont la peau dure. C’est la descente aux enfers, embellie un tant soit peu par la participation à la lutte pour la République contre l’anarchie et la barbarie que représente la rébellion.

A l’avènement de Alassane Ouattara au pouvoir, la FESCI est affaiblie et totalement disloquée. Les universités publiques et les résidences universitaires sont fermées pour réhabilitation et pour y remettre de l’ordre, selon le gouvernement. Mais la FESCI est un esprit comme aiment à le dire ses leaders. Sous la coupole de Assi Fulgence dit Affa, le mouvement se réorganise et réussit à voler la vedette aux mouvements soutenus par le pouvoir.

Dès lors, dans les arcanes du pouvoir, le débat a lieu. Faut-il dissoudre la FESCI ou au contraire la laisser exister pour en faire un allié. La deuxième option l’emporte visiblement et le mouvement renaît de ses cendres avec le soutien de certains pontes du pouvoir.

Sinon, comment expliquer qu’après la fermeture des universités et le remplacement des responsables de l’université, la FESCI puisse encore contrôler des chambres sans le soutien des autorités universitaires nommées par le gouvernement ? Comment des étudiants ont-ils pu occuper illégalement des chambres du seul fait de la FESCI ? Le chemin de la facilité aujourd’hui, c’est de tenir la FESCI pour responsable de tous les maux. Mais cela tient-il dans une réflexion sérieuse ? La responsabilité des autorités universitaires, notamment du ministre de l’Enseignement supérieur et des directeurs des centres régionaux des œuvres universitaires (CROU) et du parti au pouvoir est fortement engagée dans ces occupations dites illégales qui ne sauraient être le fait des étudiants exclusivement.

D’ailleurs, il y a quelques mois, Kambou Sié, secrétaire général de la FESCI, accusait: «Des gens tapis dans l’ombre, des élus locaux proches du pouvoir, voudraient contrôler l’organisation. Et nous, nous refusons. Si demain, il y a des bruits dans les écoles de Côte d’Ivoire, Il ne faudrait pas que ces bruits soient imputés exclusivement aux militants actuels de la FESCI. Il y a des gens qui ne sont pas des militants actuels qui tirent des ficelles. Au nom de ce qu’ils voudraient contrôler l’organisation. Ils veulent que je sois un simple micro et il y a la main noire d’Adam Smith. Il faudrait que vous soyez informés». Il poursuivait d’ailleurs en accusant ces personnes d’être les auteurs du trafic de drogue qui a lieu dans les espaces universitaires. Face à la gravité des accusations, la justice aurait dû se saisir de l’affaire. Elle ne l’a pas fait.

Et aujourd’hui, ce sont les étudiants, jetés à la rue dans le dénuement le plus total, qui en vérité sont les victimes dans cette affaire qui semble avoir mal tourné entre la FESCI et certains proches du pouvoir. Si la FESCI est un monstre, alors ses principales victimes sont les étudiants. Pourquoi le monstre et sa victime devraient-ils connaître le même sort ? Cela n’a aucun sens.

Comment un ministre qui a contribué financièrement à la construction du siège de la FESCI à l’université peut-il ordonner la destruction du bâtiment aujourd’hui ? Ça manque gravement de cohérence. Tout ça ressemble fortement à un braquage qui a mal tourné entre les protagonistes.

Par exemple, la FESCI n’existe pas à Bouaké mais les résidences universitaires ont commencé à y être vidées. Qui sont ces étudiants qui vendent des chambres à Bouaké ? Le mouvement qui existe à Bouaké est le Comité des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire (CEECI). Qui vend les chambres à Bouaké et avec la complicité de qui ?

C’est pourquoi, s’il faut encourager les efforts du gouvernement pour pacifier l’espace universitaire, il faut avoir le courage de demander au chef de l’État d’exiger des comptes à ses collaborateurs. La lutte contre l’impunité ne doit pas être sélective. La FESCI doit s’asseoir sur le banc des accusés. Mais elle ne peut pas y être seule.

Nb : Ce texte n’a pas vocation à expliquer l’histoire de la FESCI ou à la défendre. Il contextualise pour une meilleure compréhension des uns et des autres et éviter qu’on se réjouisse du malheur des étudiants parce qu’on veut à juste titre se débarrasser de la FESCI.

Steve Beko

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