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Depuis sa création en 1990, dans le contexte de l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a été un acteur clé du paysage social et politique du pays. Ce mouvement, initialement perçu comme une force légitime de défense des intérêts des étudiants, est devenu au fil des années une organisation controversée, oscillant entre engagement syndical et violences. Aujourd’hui, après un énième drame qui a coûté la vie à Deague Mars Aubin, étudiant de 49 ans sur le campus de l’université de Cocody, l’heure de la dissolution de la Fesci semble avoir sonné pour de nombreux observateurs.

Une transformation controversée

À ses débuts, la Fesci s’affirmait comme un espace d’expression et de revendications estudiantines. Elle a joué un rôle prépondérant dans la lutte pour de meilleures conditions de vie et d’études des élèves et étudiants. Mais très vite, ce syndicat s’est mué en une entité redoutée pour ses méthodes d’action. Les négociations musclées, les luttes intestines et le racket sont devenus monnaie courante, ternissant ainsi son image. Aujourd’hui, la Fesci est plus souvent associée à des actes de violence, de meurtres, et à un climat de terreur qu’à la défense des droits étudiants.
L’assassinat de Thierry Zébié en 1991, le meurtre de Dodo Habib en 2004, et plus récemment celui de Déagoué Zigui Mars Aubin en 2024, ne sont que quelques exemples tragiques d’un long chapelet de drames qui ont entaché le parcours de ce syndicat. Ces incidents posent une question légitime : la Fesci a-t-elle encore sa place dans le système éducatif ivoirien ?
La dissolution: une solution ou un risque ?
Pour de nombreux Ivoiriens, dissoudre la Fesci apparaît comme une solution radicale, mais nécessaire pour enrayer cette spirale de violences. Toutefois, la suppression de ce syndicat pourrait avoir des conséquences imprévues. En éradiquant la Fesci sans proposer une alternative crédible, le risque est grand de voir émerger de nouvelles structures plus radicales et incontrôlables. Le syndicat, malgré ses dérives, reste un contre-pouvoir, capable de porter des revendications légitimes des étudiants. Sa dissolution pourrait laisser un vide dans le milieu syndical universitaire, un espace qui deviendrait un terreau fertile pour l’éclosion de mouvements encore plus extrémistes.

Réformer pour mieux reconstruire

Le débat autour de la Fesci ne doit pas seulement se limiter à sa dissolution. Il s’agit surtout de repenser le système syndical universitaire en Côte d’Ivoire. L’État doit œuvrer à la création d’un environnement où les étudiants peuvent exprimer leurs revendications de manière pacifique et constructive. Cela implique de mettre en place une nouvelle génération de leaders syndicaux, capables de défendre les intérêts des étudiants tout en respectant les principes de non-violence et de civisme.
La dissolution de la Fesci n’a de sens que si elle s’accompagne d’une réforme en profondeur. Cette réforme doit viser à construire un espace syndical sain, démocratique et représentatif. Sans cela, toute tentative de dissolution risque de se transformer en une politique de pacification par la force, qui pourrait alimenter encore plus la défiance et la radicalisation.

La Fesci : entre légitimité et accusations

L’organisation syndicale se défend de toutes les accusations portées contre elle. Certains de ses membres, à l’instar de Nanan Eugène Djué, ancien secrétaire général de la Fesci, y voient un complot bien orchestré visant à liquider un mouvement qui refuse de plier face aux tentatives de musellement. Selon lui, les récentes tragédies et la diabolisation de la Fesci ne seraient que le fruit d’une campagne de déstabilisation, visant à discréditer ce mouvement et ses leaders.

Il est important que la justice fasse la lumière sur cette dernière affaire, afin que les responsabilités soient clairement établies. Car si la dissolution de la Fesci doit se faire, elle ne peut être justifiée que par un processus transparent et équitable, permettant à l’opinion publique de se forger une opinion basée sur des faits avérés.

Dissoudre pour réformer

Alors, faut-il dissoudre la Fesci ? La réponse semble être oui, mais sous certaines conditions. Il ne s’agit pas simplement de dissoudre pour punir, mais de dissoudre pour réformer, afin de redonner à l’espace universitaire son rôle originel : celui de laboratoire d’idées et de débats intellectuels. Les autorités doivent accompagner cette dissolution d’un projet de réorganisation syndicale, afin de bâtir un mouvement capable de porter haut les valeurs de la démocratie, de la paix, et du respect des droits humains.
La Fesci a longtemps été un acteur central du milieu universitaire ivoirien. Mais si elle veut continuer d’exister, elle doit impérativement se réformer ou laisser place à une nouvelle structure plus en phase avec les aspirations de la jeunesse et les exigences d’une société moderne.

Correspondance particulière

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